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UTMB 2016 : récit

Ca y est, mon UTMB est bouclé en 41h20. On peut toujours se féliciter d’avoir franchi la ligne d’arrivée mais pour moi c’est un peu la déception. Avec un entraînement bien plus rigoureux que les années précédentes, je sentais qu’un temps de 35h était possible. Mais en ultra, il ne suffit pas d’être à 100% physiquement, contrôler les aléas de course est une vraie difficulté. Retour sur cette incroyable aventure.

Derniers préparatifs

Alors que toute la famille, ainsi que Papy et Mamie, logent à Saint-Gervais, notre séjour chamoniard commence par la récupération de mon dossard à Chamonix le vendredi midi pour un départ de l’UTMB à 18h. De nouveau à Saint-Gervais, je ne suis pas très serein, il faut encore préparer le sac et anticiper, avec Amandine, les ravitaillements tout au long du parcours. Et ça démarre mal, la poche isotherme de mon sac à eau est restée à Crolles. Mon dos sera directement en contact avec celui-ci, je suis inquiet car cela risque de créer des variations de températures sur mon dos et de me poser des problèmes gastriques… Que faire ? Après consultation de l’assemblée, bricolage d’une isolation avec un sac plastique, bref l’incertitude, on verra bien, on n’a pas le choix.

Avec Amandine, nous préparons les affaires que je dois récupérer aux points d’assistance. Il y en a 5 : Les Contamines, Courmayeur, Champex, Trient et Vallorcine. L’occasion pour moi de me ravitailler rapidement en boisson et en nourriture.

Il est déjà l’heure de repartir pour Chamonix. Même pas eu le temps de faire la sieste.

Là-bas, il faut encore garer la voiture, pas une mince affaire. Nous choisissons l’option rapide. Nous nous garons dès l’entrée de la ville à la gare du Montenvers. Ça fera peut-être un peu loin pour Amandine, mais elle se surpassera. Un sac avec de quoi me changer m’attendra à Courmayeur. Il nous reste à le déposer et à rejoindre le départ de la course, sur la place de l’église. A notre arrivée, à 17h15, celle-ci est déjà bondée, je partirai clairement à l’arrière du peloton. Parmi les 2555 partants, seule la section « Elite » des coureurs a sa place réservée à l’avant. Pour le reste, nous nous entassons tant bien que mal sur la place. Papy et Mamie nous rejoignent avec les enfants. Juste le temps de se dire au revoir, ils me laissent seul et vont se trouver une place un peu plus loin sur le début du parcours.

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Une longue attente de 40 minutes commence pour moi, collé-serré avec mes amis coureurs. Je suis à côté d’un trio d’argentins, très bruyants. La langue espagnole est d’ailleurs omniprésente dans le peloton. Derrière moi les coureurs viennent de Hong Kong, c’est vraiment une course de renommée internationale. Heureusement pour eux, encore plus que pour moi, le temps est beau, on fera tout le parcours ! 17h30, 17h40, je ne sais pas pourquoi on parvient à avancer d’une dizaine de mètres en direction de l’arche de départ. 17h50… Ca y est plus que 5 minutes. En hommage aux victimes des attentats en France et à celles du séisme qui a ébranlé l’Italie quelques jours auparavant, nous applaudissons pendant 1 minute. Dans cette foule dense, le moment est émouvant. Plus qu’une minute… ça y est le départ est donné. Pour moi, il me faudra encore 3 ou 4 minutes pour franchir la ligne de départ, c’est fou ! La musique « Conquest of paradize » de Vangelis, du film « 1492, Christophe Colomb » retentit dans toutes les rues de la ville. Quelle foule ! C’est invraisemblable. Côté coureurs, Bison Futé dirait que la circulation est en accordéon. Côté spectateurs, ça ne désemplit pas, tous ces encouragements c’est incroyable, on en a les larmes aux yeux.

Premières étapes, l’armée est en marche

Chamonix – Le Delevret

Chamonix passée, toute la troupe est maintenant à la course… attention tout de même de ne pas être trop rapide. Mon GPS affiche 11,5 km/h, on peut vite s’emballer dans cette première portion quasiment plate qui mène aux Houches. Je me limite à 9-10 km/h ce qui n’est pas évident, l’allure est facilement tirée vers le 34181615.jpghaut par les autres coureurs. Je passe le 1er ravitaillement des Houches, ça fait moins d’une heure que l’on est parti. De toute façon la famille n’est pas là, elle m’attend à Saint-Gervais. Je poursuis donc vers le Delevret, la première difficulté du parcours. Le chemin est large, même si le sentier est parfois un peu raide. Vers le haut de la bosse, je dépasse un coureur argentin qui me paraît déjà bien dans la difficulté et au bord du vomissement. Le soleil tombe, la chaîne du Mont Blanc s’illumine.

Le Delevret – Saint Gervais

Nous basculons dans la descente, ce rythme me paraît bien rapide. J’essaie néanmoins de ne pas trop m’entamer. Après avoir dépassé à plusieurs reprises un coureur au tee-shirt orange, je me décide à prendre ses pas, il est plutôt à l’aise. La descente se poursuit et les passages en sous-bois me décident à sortir ma frontale. Après 2 heures 50 de course je déboule à Saint Gervais, je m’alimente un peu, il y a pas mal de monde, je finis par trouver la famille qui me fait de grands gestes. Le coureur au tee-shirt orange que j’ai suivi un peu dans la descente échange quelques mots avec Amandine. C’est en fait Maxime, son collègue de travail, c’est plutôt étonnant de tomber sur lui par hasard dans cette cohue.

Saint Gervais – Les Contamines

Allez, il est temps de repartir vers les Contamines, lieu d’assistance avant le long périple de la nuit.

Peu après Saint-Gervais, situation assez cocasse quand je tombe sur l’équipe qui recense les marques de chaussures des coureurs : « Asics, c’est pour moi ! La Sportiva, c’est par là ! Je ne sais pas combien de temps exactement ils vont regarder des pieds de coureurs, mais ça ne me semble pas de tout repos. Je passe. Les chemins sont plutôt larges et doux, on longe ou traverse à plusieurs reprises des routes, ce qui crée des bouchons assez importants. La file de coureurs est tellement ininterrompue que les voitures ne peuvent s’engager. Ayant rattrapé Maxime, j’échange quelques mots avec lui pour faire connaissance, après tout c’est la seule personne du peloton que je connaissais avant le départ, par Amandine interposée. Nous arriverons à peu près en même temps aux Contamines. J’y retrouve Amandine, mon assistance. Premier contact avec les règles UTMB, la zone d’assistance n’est pas la zone de ravitaillement. Cela s’avère assez vite fatigant. Passer de l’une à l’autre demande toujours un effort, même minime, et les ravitaillements ne sont au final pas très reposants. Ajouter à ça que le reste de la famille ne fait pas partie de l’assistance, limitée à 1 personne, et je les croiserai donc un peu plus loin sur la suite du parcours. Nos enfants ont pris le pli, comme tous les autres, ils tapent la main des coureurs qui passent. Ça a plutôt l’air de les amuser, c’est un bon point !

Les Contamines – La Balme

L’ambiance est assez festive, un vendredi soir quoi. Nous traversons la piste de danse, avec son DJ, de la terrasse d’un restaurant. Plus loin, nous passons à proximité d’une zone de campement. De nombreuses personnes y profitent de la soirée. Un des coureurs qui me précède se laisse aller à un coup de gnôle auprès d’un premier groupe de campeurs. Plus loin, il se laisse aller pour de la fondue… pas sûr que ça lui soit bénéfique. Nous arrivons ainsi à Notre Dame de la Gorge, la musique y bat son plein. Un grand feu de joie nous y accueille. L’ascension, aux flambeaux, se poursuit vers le refuge de la Balme. L’air de rien, l’atmosphère se rafraîchit, je suis un peu à la peine mais je me rassure avec les panneaux de randonnée qui affiche le refuge à 45 minutes. Je serai forcément plus rapide. Devant, plus haut, la ligne de frontales monte bien loin vers le col du Bonhomme. J’arrive au refuge. Je m’assois quelques minutes et me requinque avec une soupe aux vermicelles. Ce menu n’est pas près de me quitter.

La Balme – Col de la Croix Bonhomme

Je réintègre notre régiment de frontales. Je commence déjà à souffrir du sommeil. J’avance d’un pas régulier. La personne qui a mangé sa fondue me précède. Il discute avec son acolyte des problèmes de couple d’une troisième personne. Je comprends qu’ils viennent de Saint-Egrève. Ça me tient éveillé. Nous passons ce qui me semble être un col, le col du Bonhomme sûrement, mais le chemin poursuit son ascension dans un terrain plus alpin. Nous nous dirigeons vers le col de la Croix du Bonhomme, il me semble bien plus loin que prévu.

Col de la Croix Bonhomme – Les Chapieux

J’y rejoins un sentier que j’ai pu faire cet été, une descente d’environ 45 minutes vers Les Chapieux sur un chemin bien tracé. Quelques passages demandent un peu d’attention de nuit. Je descends à bon rythme en suivant une concurrente qui est très à l’aise sur ce terrain. J’aperçois déjà les lignes de frontales qui s’élèvent de l’autre côté en direction du col de la Seigne. Je débouche ainsi aux Chapieux après 8 heures 30 de course et 50km, nous sommes en Savoie ! Je regarde rapidement si Samuel est là. Il envisageait de venir même si je le lui avais déconseillé, ça reste le bout du monde, même depuis Bourg-Saint-Maurice. Je m’alimente un peu, passe aux toilettes où je m’impatiente un peu, tout le monde s’y est donné rendez-vous ou quoi ? Au moins, précédé de deux charmantes Colombiennes, je ne suis pas en si mauvaise compagnie… Des fois j’ai l’impression que les ravitaillements sont des obstacles pour me retarder…. Contrôle des sacs ! Pour ma part, je dois présenter mon téléphone opérationnel dans les 3 pays : France, Suisse et Italie. L’espace d’un instant, je me demande comment je vais lui prouver ce point. Mais bon, la personne, plutôt âgée, ne me paraît pas très connectée, c’est bon. Après quelques hésitations, je choisis quand même de m’équiper plus chaudement pour le reste de la nuit.

Les Chapieux – Col de la Seigne

Assez de temps perdu, je repars ; on commence par une portion de route, que j’ai elle aussi déjà repérée cet été. Je parviens d’un bon pas au lieu-dit de la Ville des Glaciers. Quelques bâtiments d’où l’on jouit de jour d’une vue magnifique sur l’Aiguille des Glaciers qui culmine à 3816m au sud du massif du Mont-Blanc. Là, je devine seulement la route du col de la Seigne sur la droite grâce aux lampes. J’entame donc la montée et ses longs lacets monotones.

Je commence à beaucoup souffrir du sommeil, ce qui altère ma concentration et mon rythme de marche. C’est une lutte incessante, je me tape le visage pour me réveiller mais rien n’y fait. Parfois, je me retourne, le spectacle est extraordinaire : des kilomètres de frontales me suivent depuis Les Chapieux.

Devant, le col se fait attendre, le vent souffle de plus en plus fort. Je me souviens du message reçu de l’organisation quelques jours plus tôt « Le pic de chaleur sera constant de mardi à dimanche, avec des températures pouvant monter à 32° C à 1000m. De plus le vent sera très faible. ». Là, le vent est néanmoins assez fort. Dans les passages abrités, j’ai trop chaud et transpire sous mon coupe-vent. Je l’ouvre. Aux passages exposés, le vent sèche ma sueur ce qui donne froid. Je le ferme. Je n’aime pas du tout gérer ces changements de température. Après encore bon nombre de virages et une lutte omniprésente contre le sommeil, je parviens au col de la Seigne après 11 heures 10 de course (60,2 km).

Col de la Seigne – Lac Combal

Une nouvelle portion du parcours apparaît, toujours par l’intermédiaire des frontales : une descente d’environ 200m puis une remontée un peu plus longue vers le col des Pyramides Calcaires, nouveau point de passage de l’UTMB depuis 2015. Avec toutes ces lumières, ce nouveau col paraît très loin. La légère descente me réveille mais je repique progressivement du nez avec la montée. Celle-ci, sur un chemin peu marqué, ressemble un peu à une aire de bivouac. De nombreux coureurs, recroquevillés sur eux-mêmes, jalonnent le sentier. J’atteins le col au moment du lever du jour. Grandiose. Je domine une mer de nuage qui masque le lac Combal, prochain ravitaillement.

La descente est technique, surtout dans sa partie haute au milieu des pierriers. Je ne parviens pas toujours à doubler les coureurs peu à l’aise dans ce terrain et ils ne m’aident pas vraiment… ça m’agace.  Je rejoins tout de même assez rapidement le ravitaillement sommaire du lac Combal où je me réchauffe à gorgées de soupe aux vermicelles. L’atmosphère est bien froide et humide au matin.

Lac Combal – Arête du Mont-Favre – Col Chécrouit - Courmayeur

Après un bon bout de piste, il faut escalader la dernière montée avant Courmayeur, l’arête du Mont Favre, environ 500m. Une montée régulière dans les alpages et malgré le lever du soleil, je m’endors toujours. Je passe péniblement au sommet. Le panorama est magnifique.

Il me reste à descendre par un chemin à flanc et peu pentu jusqu’au col Chécrouit. De là, la descente s’accélère dans un environnement très poussiéreux et j’arrive au ravitaillement de Courmayeur après environ 15 heures de course (80 km).

Je récupère mon sac d’assistance. J’espérais arriver plus tôt et je n’étais pas sûr qu’Amandine soit là. Tout compte fait, elle est là. L’endroit est trop compliqué et trop fatigant. Au rez-de-chaussée se trouve la zone d’assistance. Avec Amandine, nous nous y faisons une place et je commence par me changer. Je mets également de la NOK en prévention des ampoules, mais malheureusement ça a déjà bien frotté même si pour l’instant, rien à signaler. Amandine s’occupe quant à elle de la poche à eau et des victuailles.

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Je monte ensuite à l’étage pour passer aux toilettes… la zone est inondée par une fuite au niveau d’un lavabo, une vraie pataugeoire. Je passe également à la zone de ravitaillement, très spacieuse. L’ambiance y est plutôt calme, on peut y prendre des plats chauds. Les frites, les pâtes, trop pour moi, je continue à la soupe. J’y trempe du pain pour épaissir le tout. Je prends un peu de saucisson mais ça a du mal à passer sur cette course. J’apprécie pourtant bien d’habitude. Je me contenterai de quelques bananes. J’aurais aimé partager le repas avec Amandine mais c’est interdit… ça m’embête un peu de la laisser toute seule, tant pis faut bien que je mange. Je redescends ensuite récupérer mon sac. Je ne comprends pas où continue le sentier. Après quelques tergiversations, on comprend que je dois d’abord obligatoirement remonter à l’étage pour déposer mon sac d’assistance, puis repartir sur le sentier par lequel j’étais arrivé puis continuer tout droit au lieu de pénétrer dans le bâtiment ! C’est quelque peu déroutant.

34183986.jpgLe soleil s’est levé, tant mieux, moi aussi

Courmayeur – Refuge Bertone

Il faut dans un premier temps traverser Courmayeur et ses rues commerçantes animées comme un samedi matin. Il fait déjà très chaud et on profite au plus des fontaines de la ville. On mouille la casquette, le buff, les bras et les jambes : il faut faire descendre la température. La montée au refuge Bertone est raide. L’itinéraire est assez fréquenté par les randonneurs et les coureurs, du dimanche si je peux me le permettre. J’avance plutôt bien en suivant tranquillement les autres coureurs. 2 Bulgares sont un peu trop loquasses à mon goût mais je m’en accommode. J’arrive au refuge peu après 11h dans le temps attendu. La chaleur est accablante et la suite de la course me semble très ensoleillée. Je me rafraîchis à l’eau « Frizzante » et me mouille abondamment. Sans m’attarder, je repars, j’appréhende déjà la nuit prochaine, ne traînons pas.

Refuge Bertone – Refuge Bonatti - Arnouvaz

Direction le refuge Bonatti. Le chemin en balcon est agréable avec de belles vues sur les sommets enneigés du Mont Blanc. Le tempo est rapide.  Le refuge passé, on poursuit de la même manière avant une descente plus raide vers le hameau d’Arnouvaz. Je ne m’y attarde pas trop, fait quelques pas avec Amandine qui a eu le temps de profiter de la beauté du lieu.

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Arnouvaz – La Fouly

Il est 13h30, Les 900m d’ascension du Grand col Ferret se profilent pour moi, en plein cagnard. Cette montée n’en finit pas, le soleil cogne vraiment fort. Où sont les abondantes sources promises pour se rafraîchir ? Il y en a finalement une, j’y fais une petite pause et prend par précaution un Doliprane, ça tape tellement fort. La montée reprend de plus en plus raide. Quel soulagement finalement quand le col apparaît. Ca y est je passe en Suisse, ça ne change rien, il fait toujours aussi chaud. Pas de point d’eau au col, je décide de faire la descente, un point de ravitaillement est indiqué à La Peule, à environ 4km. Moins de temps je passe sous la canicule, mieux je me porterai.

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A La Peule, de quoi se rafraîchir mais pas d’eau gazeuse, je suis un peu déçu. L’autochtone me rappelle avec son accent (je suis bien en Suisse) que ce sont des bénévoles et que je peux déjà être content d’avoir de l’eau. Cordialement, j’échange encore quelques mots avec lui et repars à la même allure vers la Fouly. Le tracé rejoint progressivement le fond de vallée pour aboutir à une piste, puis à une route goudronnée. C’est ainsi que j’arrive à la Fouly : 112km en 22 heures 25. Ca y est, Ludovic Pommeret, lui, s’est adjugé l’épreuve en un peu moins de temps.

La Fouly – Champex-Lac

Je prends le temps de remplir mon sac à eau et reprends la route sur un sentier bien roulant en sous-bois vers Champex. Les ampoules commencent à se faire sentir. Nous traversons quelques villages avec de belles boiseries. La vallée qui se dévoile m’inquiète un peu. J’aperçois quelques bâtiments bien hauts sur la gauche : Champex ? Mes craintes se concrétisent rapidement, on entame une nouvelle montée raide vers DSCN0590.JPGle site, cette portion est pourtant à peine marquée sur le profil de course ! Il y a pourtant plus de 500m d’ascension. Fin de journée, le sommeil commence déjà à se faire sentir à nouveau. Je suis très inquiet pour la suite. J’arrive finalement à Champex vers 20h30, bien fatigué et les pieds endoloris par les ampoules.

 

Une lutte terrible

Tout le monde est là sous une immense tente bâchée. J’essaie de récupérer un peu en m’allongeant sur un banc. Il faut que je mange, je continue à la soupe et aux bananes, mais pour la 1ère fois ça a du mal à passer. Est-ce que mange assez ? Je tente les pâtes… non ça ne passe pas, trop poivrées. Je commence à perdre en lucidité et la suite de la course me fait peur. Je prends néanmoins le temps d’aller voir le podologue car je commence à avoir un paquet d’ampoules. Je les fais percer une à une. L’une d’entre elles, particulièrement gonflée sur le dessus d’un orteil me fait souffrir. Le passage de l’éosine sur la plaie me fait danser. Allez ce ne sont que des ampoules, quand je vois mon voisin de lit qui a perdu toute la peau du talon, je me dis que je ne suis pas trop mal loti. Cette séance soins amuse beaucoup Maëlle, une vocation est-elle née ? Avec les pieds maintenant bien bandés et un arrêt assez long, je m’apprête à repartir. Le tonnerre gronde déjà sur les hauts sommets. Je suis fatigué mais je me suis arrêté bien longtemps et, pour ça, je m’en veux car ça n’était pas prévu.

DSCN0602.JPGLa nuit est tombée à mon départ de Champex, je longe le lac tranquillement jusqu’à l’autre extrémité du bourg. Les premières gouttes se font sentir, j’enfile ma veste. J’attaque une des seules parties du parcours que j’ai reconnues : la section Champex-Trient, j’avais fait ça en 5 heures aller-retour cet été. La 1ère portion est roulante et rectiligne, pas trop ma tasse de thé mais celle-ci passe assez vite. Le parcours officiel se trouve être un peu plus court que celui que j’avais emprunté cet été, bonne surprise. Arrivé au lieu-dit du plan de l’Au, je m’alimente un peu. De là, le sentier s’incline progressivement. Les caillasses se font de plus en plus présentes. La pluie s’intensifie de plus en plus. Les éclairs se rapprochent. Je me demande dans quel état va être le torrent plus haut. Au mois de juillet, par une forte chaleur, il fallait déjà bien se mouiller les pieds. Pour moi qui déteste les orages, c’est un calvaire de monter dans ces conditions. Et je fais quoi ? Le sentier va quitter la forêt plus haut ! Je ne me sens pas trop de m’engager dans les pâturages avec mes bâtons au milieu des éclairs ! Finalement le torrent n’a pas grossi avec l’orage. La pluie redouble une nouvelle fois quand j’attaque la partie la plus raide de la montée vers la Giète. Je ressens maintenant un gros coup de fatigue, je n’avance plus, je n’arrive pas à reprendre mon souffle. Tous les 2 ou 3 pas, je dois m’arrêter 2 minutes pour respirer. Quand je regarde vers le haut, je vois des frontales, elles sont vraiment loin. Coup de massue, je n’y arrive plus. Je panique un peu, hypoglycémie ? Faut que je mange, un concurrent me donne un sucre. Je prends un gel que je garde pour les grands coups de mou. Le froid peut-être ? Il faut que je me couvre. Sous cette pluie battante, je parviens tant bien que mal à enfiler mon surpantalon.  Mais ça n’est pas normal, cette montée n’est pas si longue, comment ça se fait que je sois encore dedans ? J’ai les mains gelées, je sors mes gants…. les organisateurs n’avaient pas du tout prévu ce temps. Je n’ai que des gants en latex à passer en seconde couche sur mes gants chauds pour l’imperméabilité. Les gants en latex, trempés, s’avèrent impossible à enfiler et mes gants chauds sont déjà trempés. Au final je les enfile à moitié et continue. Je sors enfin du sous-bois, l’orage se calme un peu. Plus loin je profite de la toiture d’une buvette, fermée, pour trouver et enfiler mon bonnet. J’ai vraiment froid, il faut que je bouge. Je me retrouve soudain bien seul. Ceux qui m’accompagnaient ont poursuivi. Je prends mon mal en patience pour atteindre le ravitaillement de la Giète. Je me sens faible, j’essaie de me réchauffer à l’intérieur de l’abri mais on me dit gentiment d’aller dehors, c’est réservé aux bénévoles et aux malades… je ne sais pas ce qu’il leur faut, je force pourtant le trait de mon visage décomposé. Je prends la soupe et pars direction Trient. Cette descente est rapide et avec le temps perdu je compte bien la faire pour me refaire une santé au plus vite à Trient. La pluie a cessé mais le terrain reste boueux. Je dépasse un groupe de coureurs car je n’ai pas envie de traîner. Je descends plutôt bien. Les coureurs derrière moi s’accrochent. Visiblement ils apprécient de suivre quelqu’un dans ce terrain accidenté. Je passe le col de la Forclaz, il ne reste plus grand-chose. Le temps de discuter avec un Perpignanais. Je lui parle du trail de la Massane que je suis venu faire dans son secteur au printemps. Lui aussi est venu reconnaître l’UTMB  en juillet, on aurait pu se croiser. Je lui explique que je vais faire une grosse pause à Trient, il faut absolument que je dorme, ça devient insoutenable. Le balisage nous fait descendre sous l’église de Trient pour remonter au-dessus au ravitaillement… ce genre de détour est-il vraiment utile ? Je me dirige vers Papy et Mamie qui m’attendent devant le ravitaillement. Ils ne me reconnaissent toujours pas, je suis pourtant à peine à 20 mètres d’eux. Ca y est, c’est bon ils m’ont identifié.

J’ai vraiment très froid et je suis dans un état de fatigue rarement atteint. J’explique à la famille que je dois dormir. Il faut pour cela revenir sur ses pas…. Ggrrrr… Un bâtiment en dur dispose de quelques lits où l’on peut se reposer une demi-heure. Dans une couverture de survie, je m’allonge sur un matelas. Je refuse d’enlever mes chaussures, trop fatigant. Je ferme les yeux et essaie de trouver le sommeil. Je somnole vaguement. J’entends Papa qui vient m’apporter des provisions. Il n’a pas le droit de venir, c’est réservé aux coureurs. La salle est très bruyante, je ne pense pas avoir dormi mais ça fait du bien de s’allonger. De nouveau debout j’explique au médecin que j’ai vraiment très froid. Mon corps tremble sans arrêt. Il prend ma température et mesure mon taux de glycémie. Tout est bon, ça doit être la fatigue. Le taux d’oxygène n’est en revanche pas bon. Il me dit que je fais de l’asthme d’effort. Il me donne du « Ventolin » comme on dit ici. Toujours frigorifié je repars vers le ravitaillement pour prendre de la soupe. Je ne trouve plus personne. Où sont-ils ? Ça m’énerve, je suis à bout et tout le monde est parti. J’aperçois finalement mes parents. Amandine se repose. Elle vient me voir. Je m’alimente et décide de repartir, je ne suis vraiment pas bien. Encore un arrêt de plus d’une heure. Je ne veux même plus entendre parler du temps qui passe. Je ne peux plus espérer que finir, et ça va être compliqué.

Allez ! 2h du matin, je quitte Trient. Direction Vallorcine. Pour le coup je ne connais pas mais à peu près 850m de dénivelée positive m’attendent dans la montée de Catogne. Après un bout de piste, le chemin tourne à droite. La montée est rude. Je trouve un rythme régulier. Un concurrent me rejoint. Je lui propose de passer mais il choisit de rester avec moi. Je discute un peu avec lui, ça me tient éveillé. Après quelques minutes il ne me répond plus, je suis peut-être en train de le mettre dans le rouge. Nous sommes bien montés. D’après lui, nous avons passé la moitié de l’ascension. Soudain, je ressens une douleur aux doigts de pied. J’ai maintenant du mal à monter, un pansement s’est-il défait ? Je préfère regarder, ça m’handicape trop. Mon collègue continue sans moi. Je ne vois rien de spécial. Ca va un peu mieux après avoir rechaussé ma chaussure. Je reprends mon ascension, seul. Le sommeil me rattrape et comme si ça ne suffisait pas j’ai de nouveau du mal à respirer. Ça doit être la fatigue, je n’ai jamais peiné en montagne comme ça, c’est incroyable, j’ai le souffle coupé. Ca ne monte plus mais le sentier entame une longue traversée autour du sommet. Aucun point de contrôle… mais où est-ce ? Ca y est la descente… et enfin le point de contrôle en contrebas. Les ampoules me font à nouveau terriblement souffrir dans cette descente. Je serre les dents. Après une première descente significative, le chemin file de nouveau à flanc de montagne. Il longe une piste de ski avec ses canons à neige puis redescend à nouveau. C’est caillouteux, mes pieds souffrent. Obligé de régulièrement reposer mes pieds, je passe mon temps à doubler un groupe de 2 Danois. Ils sont particulièrement lents et pas très bavards. Bien froids ces gens du nord. Dans le bas, j’aperçois des lumières. Vallorcine ? Ça ne me paraît pas bien animé. La fin de la descente me rappelle mon Ut4M 2013 et ma descente laborieuse sur Rioupéroux. Ca ressemble beaucoup. Je pointe à 5h à Vallorcine. Le matin ne semble plus très loin.

Je décide de repasser voir les podologues pour mes ampoules. On ne peut pas dire qu’ils soient pressés. Je les regarde impuissant à attendre qu’ils finissent. Chaque ampoule est un spectacle, les podologues en devenir prennent des photos. Ils ne doivent pas se rendre compte que cela reste une course. Ils se montrent également un peu sadiques en commentant leurs injections d’éosine, toujours un peu douloureuses. Le temps passe, le podologue me bande les doigts de pied un à un. Je suis soulagé, je vais pouvoir repartir… après encore une fois plus d’une heure de pause.

C’est le lever du jour. Je l’apprendrais un peu plus tard mais le coureur qui part de Vallorcine avec moi est Vincent Delebarre, le vainqueur de l’édition 2004. Cuit à Trient, il y a passé plus de 9 heures pour repartir frais comme un gardon pendant la nuit. Comme le matin précédent, il fait froid. J’ai mis la double couche de tee-shirts, coupe-vent, bonnet, gants… la totale quoi. Je pique à nouveau du nez dans la montée monotone du col des Montets. Ca n’est pas possible, ce sommeil me pénalise complètement. Je me réveille le temps de trouver la carte d’identité d’un coureur polonais. Je la laisse à une personne chargée du pointage. C’est bien la première course où je suis pointé informatiquement entre 2 ravitaillements, au milieu de nulle part. Arrivé au col des Montets, je suis mort de fatigue. Je me permets de m’asseoir sur la chaise des bénévoles au pointage du col des Montets. Fermer les yeux 2 minutes, assis, ça me soulage tellement. Ils acceptent, à l’encontre du règlement, de me donner un peu de coca, j’espère que ça me réveillera. Ils m’encouragent à repartir en me disant « Allez tu vas là-haut et c’est fini ! »

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Là-haut, vers la Tête aux Vents, tu parles, quasiment 700m de montée. C’est raide et de hautes marches rendent la progression difficile. J’ai de nouveau du mal à respirer. Je m’arrête parfois plusieurs minutes mais ne parvient pas à reprendre mon souffle. Les autres coureurs me doublent à tout bout de champ. Je me pose quelques minutes pour me dévêtir un peu et profiter des rayons du soleil. Je ne suis plus à 5 minutes près. Un coureur allemand est séduit par l’idée. Que c’est dur ! La grosse montée passée, le sentier continue, légèrement ascendant et louvoyant autour des rochers érodés par le vent. Des bénévoles… c’est là ? Non il faut poursuivre encore un petit moment. Il fait à nouveau très chaud. On tend vers la fin, je m’hydrate de manière beaucoup moins consciencieuse. Ça cogne et je n’ai pas de casquette, juste un buff. Je passe enfin la Tête aux Vents. Une longue descente à flanc file vers le point de passage de la Flégère, arrivée d’une remontée mécanique. Sur ce parcours, je croise Pau Capell, vainqueur de la CCC quelques heures plus tôt. Il est en pleine session photos. Je le reconnais car nous avons récemment regardé un reportage sur le trail de Madère qu’il a gagné cette année. La dernière courte montée de l’épreuve me permet de gagner la Flégère, dernier ravitaillement. J’y reconnais une concurrente que j’ai vue à plusieurs reprises, entre le Grand Col Ferret et Champex. Incroyable, je ne suis pas tout seul à avoir galéré. De ce que je comprends de ce qu’elle explique aux bénévoles, elle a dormi une paire d’heures dans un coin… Plus qu’à descendre sur Chamonix. Allez courage ! 1100m, ça peut se faire vite. Je me fais violence, les pieds souffrent mais j’essaie quand même de trottiner. Je descends, descends encore. Me rapprochant du fond de vallée, je demande naïvement aux randonneurs que je croise des informations sur la distance restante. Depuis combien de temps sont-ils partis ? Allez, je mets 2 fois moins de temps pour descendre ! La route elle est encore loin ? Je ne sais pas ce que j’espère, de toute façon les réponses ne vont jamais. Je ne suis vraiment plus très loin… je craque un peu, les larmes me viennent, je suis exténué et j’ai mal aux pieds. Un coureur lyonnais me double, il me dit de le suivre, je n’y arrive pas. Plus loin j’arrive tout de même à le rejoindre. Nous nous encourageons. Nous longeons maintenant l’Arve en direction du centre de Chamonix. Dernier virage, courage, on reprend la course. Je retrouve dans les derniers mètres Amandine et les enfants. Maëlle me tire par la main. Alban, en pleurs, reste avec Amandine et Damien en nous suivant de près. Ca y est, le tour de Mont Blanc est conclu. Je me promets que l’ultra, courir la nuit, c’est fini. Le sommeil m’a mis au supplice pendant les 2 nuits…. Je m’avoue vaincu, j’ai vraiment le sentiment qu’il a gâché ma performance. Je finis 699ème, j’ai quasiment perdu 250 places depuis Champex. Seuls 1468 coureurs ont terminé l’épreuve, le record d’abandons a été battu cette année. Maxime finit 1449ème, il a dû bien galérer lui aussi.

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Commentaires

  • parcouru. captivant (euh, haletant). Je relirai plus attentivement. QQues fautes (mais est-ce important au regard du témoignage). Je ferai ma part une fois de retour d'Italie.

  • Bravo Christophe, beau reportage et belle course. Vu le nombre d'abandons, c'est beau d'avoir fini

  • Récit vraiment captivant, On a l'impression d'être dans ta peau et de vivre avec toi la course ! Tu arrives à nous faire partager ta course, à nous mettre des frissons dans le dos !
    Après le film sur l'UT4M, un roman sur l'UTMB ?

    Mille merci pour le partage et bravo ! Car malgré ces souffrances, ces moments durs, tu finis, Peut-être pas dans tes objectifs de départ mais c'est quand même une belle performance !

    Félicitations Christophe.

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